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Une version éditée de cet article a été
publié en anglais dans le National Post, le 27 mars,
2001.
Et les consommateurs?
de David Orchard
Il y a un peu plus d'un an, je prédisais dans ce même
journal que, si nous ne faisions rien pour corriger la situation,
la crise agricole ne ferait que s'aggraver. Depuis, plus de 22 000
agriculteurs ont cessé leurs activités.
Au cours des dix dernières années, le revenu net
des agriculteurs canadiens a chuté de plus de 50 % (ce chiffre
tient compte de l'inflation). En Saskatchewan, ce pourcentage atteint
90 %; autrement dit, le revenu net des agriculteurs de cette province
représentait, l'an dernier, 10 % de ce revenu en 1989. Les
campagnes se vident, les lignes de chemin de fer sont démantelées
et les silos disparaissent, ce qui a un effett dévastateur
sur les collectivités rurales.
Le ministre fédéral de l'Agriculture a récemment
déclaré qu'en dessous de 75 000 dollars de chiffre
d'affaires, un agriculteur devait « prendre une décision
». Autrement dit, le ministre invite bon nombre d'agriculteurs,
je dirais même plus de la moitié de ceux qui sont encore
en activité, à quitter ce secteur et à laisser
la place à de gigantesques exploitations agricoles, ce qui
serait un véritable désastre.
La politique agricole du Canada est un fiasco total. Les libéraux
ont décidé unilatéralement de supprimer les
programmes d'aide et de recherche, si bien que les agriculteurs
se retrouvent sans défense et considérablement désavantagés
sur les marchés internationaux. Pour faire passer la pilule,
le gouvernement leur distribue, avec parcimonie, des chèques
dont les montants ne représentent qu'une fraction des sommes
qu'il a jadis soustraites des programmes agricoles. (Les libéraux
ont en effet réduit le budget agricole fédéral
de près de 50 %, ce qui s'est automatiquement répercuté
sur les agriculteurs. Par exemple, l'abolition en 1995 des taux
du Pas du Nid-du-Corbeau, qui avaient été garantis
« à vie » aux agriculteurs, a fait tripler leurs
frais de transport, ce qui s'est traduit par un coût annuel
supplémentaire de 15 000 dollars, en moyenne, par exploitation
céréalière dans l'Ouest.)
Pendant ce temps, le gouvernement dénonce les subventions
dont profitent les politiques agricoles des Européens et
des Américains, et réclame qu'on y mette un terme,
mais en vain. Au lieu de gémir, le gouvernement canadien
ferait mieux de rétablir ses propres subventions agricoles,
tout en promettant à ses partenaires commerciaux de leur
emboîter le pas quand ils supprimeront les leurs, mais pas
avant. Une telle mesure permettrait aux agriculteurs canadiens de
se retrouver sur un pied d'égalité face à leurs
concurrents, et donnerait au gouvernement canadien les atouts dont
il a besoin pour obtenir des résultats tangibles sur la scène
internationale.
Prétendre que le trésor canadien ne peut pas faire
face aux Européens et aux Américains est un argument
qui ne tient pas. Le Canada avait jadis un secteur agricole très
compétitif sur les marchés internationaux, et il a
su respecter ses engagements à long terme sans pour autant
épuiser les ressources financières du pays.
Sur le plan de la santé et de la sécurité
alimentaire, les consommateurs sont de plus en plus nombreux, dans
le monde entier, à se méfier des aliments génétiquement
modifiés. L'Europe a décidé de ne plus importer
de céréales génétiquement modifiées
pour la consommation humaine; d'autres pays commencent à
hésiter. Et pourtant, le Canada continue d'investir des centaines
de millions de dollars dans la promotion des organismes génétiquement
modifiés (OGM), au détriment de toute autre politique
agricole.
Avec la mise en marché du «Round-up ready canola »
de Monsanto, les deux tiers des terres des Prairies consacrées
à la culture du canola sont désormais transgénétiques.
Le croisement pollinique avec le canola conventionnel a contaminé
toutes les cultures de canola, si bien que le marché européen
refuse la totalité de notre production de canola et que les
prix du canola canadien sont à la baisse.
Ayant mis tous ses oeufs dans le panier des OGM, le Canada est
devenu le troisième producteur mondial de produits transgéniques
pour lesquels il y a de moins en moins d'acheteurs. Cette promotion
acharnée d'une technologie qui n'a pas fait ses preuves nuit
aux agriculteurs canadiens. Le Brésil, lui, a refusé
d'autoriser la vente de semences d'OGM, et il réussit aujourd'hui
à nous devancer sur les marchés internationaux grâce
à ses produits sans OGM.
Contrairement à ce que prétend le gouvernement, les
aliments transgéniques ne sont pas moins chers, plus sûrs
ou plus nutritifs. Les trois quarts de ces produits sont fabriqués
dans un seul objectif: leur tolérance aux pesticides, de
sorte que les sociétés qui produisent les herbicides
et les pesticides, et qui produisent d'ailleurs aussi les semences
transgéniques, pourront en vendre d'avantage... mais les
consommateurs sont de plus en plus nombreux à s'y opposer.
Faire fi du consommateur coûte cher, mais cela n'empêche
pas le gouvernement canadien d'envisager d'autoriser la commercialisation
du blé OGM, ce qui va accroître la résistance
de nos clients internationaux et nous faire perdre les marchés
où le blé canadien était jadis prisé.
Plusieurs organisations agricoles d'Amérique du Nord, notamment
la Commission canadienne du blé, ont demandé que le
blé transgénique ne soit pas commercialisé
tant que nos clients ne se sont pas tous dit prêts à
en acheter. Mais le gouvernement semble vouloir l'imposer à
l'industrie.
Pour plusieurs raisons, notamment la durabilité des ressources,
la sensibilisation croissante des consommateurs à la sécurité
alimentaire, la crise de la vache folle et les nombreux problèmes
que pose l'agriculture industrielle, le secteur agricole qui connaît
le plus fort taux de croissance dans le monde occidental (20 à
40 % par an) est celui de la culture biologique.
La culture biologique, qui se fait sans produits chimiques nocifs,
c'est-à-dire sans herbicides, pesticides, engrais synthétiques
ou modification génétique, a l'avantage d'être
bien moins dangereuse pour l'environnement, les sols et la santé
humaine. (On n'a enregistré aucun cas de vache folle chez
des animaux élevés biologiquement.) Les coûts
de production d'un agriculteur biologique sont moins élevés
et les revenus sont nettement supérieurs. Selon une enquête
effectuée récemment auprès d'agriculteurs biologiques
de l'Ontario, moins de 15 % d'entre eux estiment avoir une marge
de profit insuffisante; les autres estiment qu'elle est adéquate.
Or, malgré une demande en pleine croissance au niveau mondial,
le Canada ne fait pratiquement aucune recherche ni aucune promotion
dans ce domaine. Nous n'avons même pas un programme d'études
universitaire en agriculture biologique qui offre un baccalauréat.
Il est évident que l'agriculture biologique est la voie
de l'avenir, et le Canada, qui a la réputation d'être
un pays peu pollué, est on ne peut mieux placé pour
exploiter ce créneau sur les marchés européens,
américains et autres. La demande en produits biologiques
canadiens dépasse largement l'offre, mais, non content d'avoir
raté le coche, le gouvernement canadien continue d'aider
exclusivement l'agro-alimentaire chimique et biotechnique alors
que les consommateurs refusent de plus en plus ces produits.
Une réorientation radicale de notre politique agricole s'impose,
qui doit tenir compte des désirs des consommateurs et des
impératifs à long terme d'une agriculture durable.
Il faut commencer par imposer un moratoire sur la commercialisation
de nouveau OGM, cesser la production de canola, de soja, de maïs
et de pommes de terre transgéniques, mettre en place des
programmes de transition à la culture biologique, financer
des recherches sur les problèmes de l'agriculture sans produits
chimiques, et faire, sur les marchés potentiels, une promotion
dynamique des produits que fabrique le Canada, sans additifs chimiques
et sans organismes génétiquement modifiés.
Accompagnées des programmes restaurés des infrastructures
agricoles dont ont besoin les agriculteurs, ces mesures devraient
redonner au secteur agricole canadien une grande partie de sa vitalité.
David Orchard est arrivé deuxième
dans la course à la direction du Parti conservateur en 1998,
derrière Joe Clark. Il est l’auteur de Hors des
griffes de l’aigle: quatre siècles de résistance
canadienne à l’expansionnisme américain
et exploite une ferme à Borden, SK. Téléphone:
(306) 664-8443. Courriel: davidorchard@sasktel.net.
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