Le devoir, 15 septembre, 2002
Laissons l'Irak tranquille
de David Orchard
Un an s’est à peine écoulé depuis la
destruction des tours du World Trade Centre que déjà
les va-t-en-guerre réclament une attaque contre l’Irak,
même si personne n’a pu raisonnablement établir
de lien entre ce pays et la tragédie du 11 septembre 2001.
Il semblerait que la majorité des Américains sont
favorables à une attaque, à condition que les États-Unis
ne soient pas seuls.
Pourquoi le pays le plus riche et le plus puissant du monde voudrait-il
attaquer l’un des plus pauvres, et quelle devrait être
l’attitude du Canada ?
L’Iraq est un petit pays, pratiquement dénué
de frontière maritime, dont la superficie représente
environ les 2/3 de celle de la Saskatchewan et dont l’économie
dépend de l’importation de produits alimentaires et
de l’exportation de pétrole. Ses 20 millions d’habitants
gagnent en moyenne moins de 1 dollar par jour, les médecins
touchant 5 dollars par mois. Le taux de chômage dépasse
50 %. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la
majorité de la population est sous-alimentée. La capacité
militaire de ce pays a été presque anéantie,
son arsenal a été inspecté des milliers de
fois depuis 1991, et son territoire a été bombardé
par des avions américains et britanniques presque toutes
les semaines depuis la fin de la guerre du Golfe en 1991. Les bombardements
dans le nord et le sud du pays visaient aussi bien des troupeaux
de moutons que les bergers qui les gardaient.
Appauvri, affaibli et vulnérable, l’Iraq est incapable
de défendre ni même de survoler ces fameuses zones
interdites, qui couvrent pourtant les 2/3 de son territoire.
Son économie jadis prospère est aujourd’hui
exsangue, après une guerre dévastatrice et dix années
de sanctions des plus punitives de l’histoire moderne. Pendant
ces dix années, plus d’un million d’Iraquiens,
surtout des enfants, ont vécu l’agonie avant de mourir,
et plusieurs millions, atteints de graves infirmités, mourront
bien avant l’âge. Pendant la guerre du Golfe, les États-Unis
ont largué sur l’Iraq 900 tonnes de munitions contenant
de l’uranium appauvri, qui ont parsemé le territoire
de matières radioactives. En conséquence, les taux
de cancer et de leucémie ont augmenté de façon
vertigineuse. Les familles sont obligées de donner en gage
les quelques biens qui leur restent pour pouvoir acheter de la nourriture
et des médicaments pour leurs enfants. Les pharmacies des
hôpitaux sont vides : même les médicaments les
plus courants font défaut.
Attaquer un autre pays sans qu’il y ait eu provocation est
un crime de guerre, le plus grave, qui plus est, d’après
le jugement de Nuremberg. Le principe 4 de l’article 2 de
la Charte des Nations Unies porte que : « Les Membres de l’Organisation
s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir
à la menace ou à l’emploi de la force, soit
contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance
politique de tout État, soit de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations Unies. »
Les États-Unis et l’Iraq sont tous les deux membres
des Nations Unies, et pourtant, le gouvernement américain
menace ouvertement de renverser le gouvernement iraquien et de faire
assassiner son président, et réclame un « changement
de régime ».
Certains membres du gouvernement américain prétendent
qu’une « frappe préventive » est justifiée
parce que l’Iraq risque de posséder un jour des armes
de destruction massive.
Que je sache, c’est la première fois qu’on avance
cet argument pour avaliser une attaque contre un pays souverain,
en violation flagrante du droit international.
Nous n’avons aucune preuve que l’Iraq possède
des armes de destruction massive ou qu’il a l’intention
ou la capacité de les utiliser. (En 1998, les inspecteurs
de l’Agence internationale de l’énergie atomique
ont conclu que l’Iraq ne possédait pas la technologie
de l’arme nucléaire.) Nous n’avons donc aucune
preuve que l’Iraq est autre chose qu’un pays dévasté
par la guerre, et pratiquement désarmé par des sanctions
draconniennes et des pilonnages aériens constants.
Par contre, l’Iraq possède certaines des réserves
de pétrole les plus importantes du monde, qu’il a nationalisées
(moyennant indemnisation) dans les années 70. Depuis, le
gouvernement refuse de céder aux demandes américaines
de privatiser ce secteur.
À la quasi-unanimité, la communauté internationale
s’est opposée au projet américain d’attaquer
l’Iraq. Même les gouvernements des pays voisins de l’Iraq,
notamment le Koweit, qui auraient pourtant de bonnes raisons de
s’inquiéter des intentions de l’Iraq, s’ils
doivent s’en inquiéter.
Ce qui va se passer au cours des semaines prochaines nous montrera
si nous vivons dans un monde respectueux du droit international
ou si une nation peut faire fi des lois et des conventions que les
autres nations doivent respecter. S’il n’y a plus de
droit international, c’est la loi de la jungle qui l’emporte.
Le Canada a su, dans le passé, préconiser le règlement
pacifique de certains litiges, par des moyens diplomatiques et pacifiques.
Il se doit, aujourd’hui, de parler haut et fort en faveur
de l’État de droit et contre l’anéantissement
du plus faible par le plus fort. Notre gouvernement doit clairement
indiquer que notre pays n’appuiera pas une attaque contre
l’Iraq.
La voix du Canada pourrait influer sur le cours des événements.
J’espère pour ma part, au nom des milliers de personnes
qui sont en train de mourir en Iraq et des milliers d’autres
qui mourront si nous ne disons rien, que nous saurons être
fidèles à notre tradition. Le Canada est l’allié
des États-Unis depuis longtemps. Peu d’Américains
doutent de la sympathie que les Canadiens ont éprouvée
et continuent d’éprouver à l’égard
des victimes du 11 septembre. Mais le Canada se doit d’affirmer
clairement qu’écraser une nation sans défense
à l’autre extrémité du globe n’est
pas une façon de commémorer le premier anniversaire
de la tragédie qui a frappé New York.
David Orchard est arrivé deuxième
dans la course à la direction du Parti conservateur en 1998,
derrière Joe Clark. Il est l’auteur de Hors des
griffes de l’aigle: quatre siècles de résistance
canadienne à l’expansionnisme américain
et exploite une ferme à Borden, SK. Téléphone:
(306) 664-8443. Courriel: davidorchard@sasktel.net
page précédent
haut de page
|