Publié dans Le Devoir, 25 janvier
2002, dans une version légèrement éditée.
Non au dollar américain
de David Orchard
Dans le Devoir récemment on a eu un débat concernant l'adoption
par le Canada du dollar américain.
Dans la Chambre des Communes le bloc québécois a déjà lancé plusieurs
fois un appel pour que le Canada adopte un dollar commun avec les
américains. Le bloc et le parti québécois ont cité l'Argentine,
qui a fixé sa devise au dollar américain, comme exemple pour le
Canada.
Maintenant tout le monde peut voir les résultats en Argentine.
Après avoir fixé leur devise au dollar américain, celui-ci a grimpé
et le prix des exportations argentines a bien entendu suivi avec
des résultats pénibles pour elle: le reste du monde a cessé d'acheter
les produits argentins.
Pour le Canada et le Québec d'adopter le dollar américain ou une
monnaie commune avec les États-Unis serait un véritable désastre.
Le Canada et le Québec sont de grands exportateurs. D'éliminer un
des principaux avantages pour nos exportateurs, le taux d'échange
favorable, détruirait des industries entières et plus de deux millions
d'emplois dans tout le pays. Par exemple, quel serait le résultat
pour les industries québécoises qui font des exportations aux États-Unis
si nous avions la même devise sans taux d'échange favorable? Bref,
nous vivrions la même expérience que l'Argentine actuellement.
De plus, une union monétaire avec les États-Unis serait la fin
de l'indépendance du Canada, incluant le Québec. Pour un pays perdre
le contrôle de sa devise c'est aussi perdre le contrôle de son avenir
parce que toutes les grandes décisions économiques seraient prises
à Washington sans aucunes considérations particulières pour notre
bien-être. Pour le Canada cela pourrait ressembler à ce qui est
arrivé avec la Louisiane et Porto Rico. À titre d'exemple, Porto
Rico utilise le dollar américain et ses citoyens votent dans les
élections américaines mais leur délégué au Congrès américain n'a
qu'une voix mais pas le droit de vote!
La naïveté des séparatistes québécois face au pouvoir américain
est connue de longue date. À l'époque de la Confédération, les opposants
canadiens français ont fait une alliance avec les hommes d'affaires
canadiens anglais pour proposer une union avec les américains au
lieu d'envisager une confédération canadienne. Mais, Georges-Étienne
Cartier et Hector Langevin ont très bien compris le danger pour
les francophones. Langevin interrogea ses compatriotes: "Qu'adviendra-t-il
des canadiens français si nous sommes annexés par les États-Unis?
Voyez ce qu'il est advenu des français aux États-Unis et plus précisément
des français en Louisiane? Qu'est-il advenu de leur langue, de leurs
coutumes, de leurs moeurs et institutions?"
Cartier a gagné l'appui d'adversaires influents comme Joseph Cauchon,
journaliste-politicien de Québec. Cauchon a expliqué à ses partisans
que la Confédération est nettement préférable au statut peu enviable
de la Louisiane, statut qui deviendrait celui du Québec, en cas
d'annexion aux États-Unis. Mieux vaut être un contre trois que un
contre trente affirme-t-il.
Maintenant nous constatons le même type d'alliance entre les séparatistes
et les grands hommes d'affaires comme Paul Tellier du Canadien National
(dont les actions sont maintenant contrôlées à 62% par les États-Unis)
qui lance des appels fréquents pour nous inciter à adopter le dollar
américain (réf. le Devoir, "Portrait de Paul Tellier, un homme de
débat," 31 décembre, 2001).
Je demande au bloc québécois ainsi qu'au parti québécois: "Si
vous êtes pour la défense de la langue française et de la culture
québécoise, comment pourriez-vous faire cela après l'assimilation
du Québec et du Canada par les Etats-Unis? Croyez-vous que les États-Unis
protégerons la langue française comme langue officielle aux États-Unis?"
Après l'assimilation économique du Canada par les Etats-Unis,
suivront les assimilations culturelles et linguistiques en peu de
temps. Dans leur antipathie pour le reste du Canada, les séparatistes
ont oublié que beaucoup de canadiens dans le reste du Canada respectent
la langue et la culture canadienne française et travaillent assidûment
afin d'apprendre le français et d'avoir un pays bilingue. Ils ont
oublié aussi tous les droits constitutionnels, traditionnels et
historiques de tous les francophones canadiens. Il n'y a aucun parallèle
aux États-Unis. En somme, d'adopter le dollar américain ou une union
monétaire avec les États-Unis serait la fin du rêve canadien et
également la fin du fait français en Amérique du Nord.
Les promoteurs du dollar américain citent l'intégration européenne
et l'euro comme exemple à suivre pour l'Amérique du Nord, mais l'euro
est un moyen pour les européens de résister au pouvoir du dollar
américain et faire ainsi concurrence aux États-Unis. Rien à voir
avec la situation du Canada seul en face du pouvoir américain. En
Europe on a plusieurs pays et aucun d'eux n'a le pouvoir de dominer
tous les autres comme c'est actuellement le cas des États-Unis concernant
l'Amérique du Nord. Pour nous, nous avons besoin de notre devise
pour survivre comme pays autonome. La Suisse, quant à elle, garde
son indépendance et sa devise et tout le monde respecte ce fait:
même chose pour la Norvège, le Japon et plusieurs autres pays.
Un pays comme le Canada, avec ses ressources naturelles, son immense
superficie, sa bonne réputation mondiale, n'a aucun intérêt à abandonner
tout cela pour être assimilé par quelque pays que ce soit. Cela
serait manifester un manque de confiance en nous-mêmes en plus d'être
une trahison pour toutes les femmes et tous les hommes qui ont travaillé
dans le passé à bâtir le Canada et fait de lui ce qu'il est aujourd'hui:
un pays plein de potentiel, majoritairement respectueux des deux
langues officielles et reconnu mondialement pour ses valeurs.
Il y a eu beaucoup de personnes dans le passé depuis plus de deux
cents ans qui ont prédit qu'il serait inévitable pour le Canada
d'être avalé par le géant américain. Mais nous avons survécu et
nous avons créé un pays qui fait l'envie de la majorité du monde
entier. Ce n'est pas le temps de baisser les bras. En 1775-1776
deux armées américaines avaient envahi le Canada dans le but de
le conquérir et, sans la résistance de la Vieille Capitale (Québec),
le Québec et tout le reste du Canada seraient devenus à ce moment-là
des états américains et tout le monde au Québec parlerait aujourd'hui
anglais. Mais les porte-paroles du bloc et du parti québécois ainsi
que tous les partisans favorables à l'adoption du dollar américain
ont oublié notre histoire et rêvent de nous livrer tout emballés
à la porte de la Maison Blanche. Moi je dis NON!
David Orchard est un fermier biologique de la
Saskatchewan et auteur du livre Hors des griffes de l'aigle:
quatre siècles de résistance canadienne à l'expansionnisme américain.
Il s'est classé en deuxième place après Joe Clark dans la dernière
course à la chefferie du parti conservateur au niveau fédéral. Il
passe actuellement l'hiver à Québec pour perfectionner sa connaissance
du français. Son numéro de téléphone est (306) 664-8443, e-mail:davidorchard@sasktel.net
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