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Toronto Star (en anglais) le 16 juillet 2004
Mauvais calcul pour les Tories
de David Orchard
Les élections sont terminées, le grand projet de « l'union de la droite » a été soumis au peuple, et celui-ci a décidé.
Depuis 1997, on ne cessait de nous dire qu'une « union » du Parti réformiste/allianciste et du Parti progressiste conservateur était la seule solution pour mettre un terme à « la division du vote de droite ». C'est donc sur l'autel de cette logique qu'on a décidé de sacrifier le Parti progressiste conservateur : certes, il était regrettable de voir disparaître le plus ancien parti politique du Canada, mais c'était un mal nécessaire pour mettre un terme à la domination des libéraux et restaurer ainsi la démocratie.
Ceux qui osèrent se porter à la défense du seul parti qui ait jamais réussi à battre les libéraux furent la cible de multiples critiques : faites donc le calcul, nous disait-on; lorsque l'Alliance et le Parti PC auront fusionné, le nouveau parti recevra la somme des voix recueillies par chaque parti, et même plus, c'est garanti. Autrement dit, le nouveau parti allait recevoir plus de voix que la somme des voix accordées auparavant à chacun des deux partis. On se souviendra que lorsque Joe Clark s'était opposé à la tentative du Parti réformiste d'absorber le Parti PC à la fin des années 90, Preston Manning lui avait reproché de « ne pas voir assez grand ».
En 2003, alors qu'il était chef de l'Alliance, Stephen Harper avait enjoint les progressistes conservateurs de choisir entre « une coalition avec David Orchard ou une coalition avec de vrais conservateurs ».
Pour les aider à faire leur choix, les stratèges du parti en puissance n'avaient pas hésité à bafouer la constitution du Parti PC et à permettre à 20 000 membres de l'Alliance de voter deux fois (une fois dans chaque parti) lors d'une procédure de ratification qui n'en était qu'une parodie, d'où le taux d'approbation de 90 % en faveur de la fusion.
Peter MacKay s'était engagé par écrit à ne pas fusionner avec l'Alliance et à respecter la constitution PC, en échange de son élection à la tête du Parti PC, mais sa promesse n'était que du vent. Au diable les scrupules constitutionnels et éthiques, la politique n'est pas faite pour les enfants de choeur, et de toute façon, qui veut la fin veut les moyens : l'hégémonie libérale doit cesser.
Forts d'une supériorité morale auto-proclamée, Harper et MacKay se mirent à fustiger les libéraux pour leur manque d'éthique. Brian Mulroney en personne déclara son appui à Harper et nous expliqua que la fusion serait une bonne chose, allant même jusqu'à prédire que l'élection se présentait sous des augures aussi favorables qu'en 1984, lorsqu'il avait remporté une majorité écrasante.
Il ne restait plus à Stephen Harper qu'à prédire l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire, ce qu'il fit. Les libéraux, annonça-t-il la veille de l'élection, vont subir « la défaite la plus humiliante » de leur histoire.
Alors que débutait le dépouillement du scrutin, le soir de l'élection, Elmer MacKay déclara fièrement à la nation que « sans Peter MacKay, nous n'aurions pas eu une soirée d'élection aussi longue et aussi palpitante », et qu'enfin, les efforts de son fils « allaient porter leurs fruits et avoir un impact sur le système politique canadien ».
Maintenant que les esprits se sont un tant soit peu calmés, examinons ces fruits d'un peu plus près.
· Aux élections de 1997, les PC et les réformistes ont recueilli un total de 4 959 785 voix, 38,2 % du vote et 80 sièges.
· Aux élections de 2000, ces chiffres étaient respectivement de 4 843 927 voix, 37,7 % et 78 sièges.
· Aux élections de 2004, après avoir détruit le Parti PC et l'avoir rayé de la carte électorale en « unissant la droite », les « conservateurs » ont recueilli 3 994 333 voix, 29,6 % du vote et 99 sièges, soit 849 594 voix de moins, ou 17,5 %, que le total des voix Alliance/PC en 2000.
· En Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, les conservateurs ont enregistré un recul spectaculaire de 32 % et 35 %, respectivement, par rapport au vote combiné Alliance/PC de 2000; en Nouvelle-Écosse, ce recul a été de 27 % (les conservateurs se sont placés derrière le NPD); au Québec, 25 %; en Saskatchewan, 22 %; en Alberta, 13 %; et en Ontario, 6 %.
Ainsi donc, malgré une conjoncture on ne peut plus favorable - des caisses bien remplies, des conseillers, stratèges et sondeurs en abondance, un scandale des commandites servi sur un plateau d'argent par la vérificatrice générale, un gouvernement sortant dépourvu d'ancrages précis et en quête d'un quatrième mandat, d'innombrables sujets de mécontentement dans la population - le nouveau parti s'est heurté au même obstacle que l'Alliance et le Parti réformiste avant lui.
Dès le lendemain des élections, des partisans conservateurs de Calgary se sont plaints amèrement des électeurs « de l'Est ». Certains y sont même allés du vieux cliché de « l'Alberta devra peut-être se séparer ». Enfin, des responsables du Parti ont expliqué que la publicité libérale avait « fait peur » aux électeurs. Pourtant, un parti qui s'enorgueillit de son orientation pro-entreprise devrait savoir que le client a toujours raison.
Le chef du Parti a maintenant annoncé que, pour la première fois, le Parti allait réunir ses membres, qu'il allait (finalement) se doter d'une constitution, et que le programme politique serait soumis à l'approbation des membres. Les anciens progressistes conservateurs qui, comme nous, ont reçu pendant l'élection une carte de membre qu'ils n'avaient pas demandée, sont invités, apparemment, à rentrer dans le rang et à approuver le programme.
Si les ténors de l'union de la droite pouvaient maintenant faire une petite pause, ceux qui se sont opposés à la destruction du parti qui a fondé le Canada auraient peut-être une chance de se faire entendre.
Nous avons toujours dit que l'union des deux partis ne se traduirait pas par la somme des voix recueillies par chaque parti. Nous avons toujours dit que la fusion était la prise de contrôle d'un parti modéré et traditionnel par le Parti réformiste/allianciste, et que les électeurs la percevraient ainsi. Les Canadiens n'ont jamais élu au niveau fédéral un parti de droite. Nous avons toujours dit que seul un parti progressiste et inclusif, implanté dans toutes les régions du pays, pouvait battre les libéraux, et qu'un parti exclusif, régional ou voulant privilégier l'Ouest ne rallierait pas la majorité des électeurs.
Plutôt que de remettre en question la sagesse de ces électeurs, certains devraient se demander si le résultat de cette élection signifie que les Canadiens observent attentivement leurs politiciens, qu'ils comprennent ce qu'ils leur disent et qu'ils s'attendent qu'ils tiennent leurs promesses. Elle signifie peut-être aussi que, pour les Canadiens, la fin ne justifie pas les moyens.
David Orchard a été candidat à la direction du Parti progressiste conservateur fédéral en 1998 et en 2003. Il exploite une ferme à Borden, en Saskatchewan.
Davidorchard@sasktel.net
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