Edmonton Journal (en anglais) le 29 avril 2005
Le jeu dangereux de M. Harper
de David Orchard
Le scandale des commandites déchaîne les passions
dans tout le pays, mais c'est au Québec qu'elles sont
les plus vives, et le Parti libéral risque de ne pas
être le seul à en subir les foudres.
Les partis d'opposition, surtout les conservateurs,
semblent prêts à jouer avec ce feu, dans leur propre
intérêt, bien sûr.
D'après les sondages, l'appui à la souveraineté
recueille plus de 50% des voix au Québec, soit le niveau
le plus élevé depuis l’Accord du lac Meech, et la cote
de popularité du gouvernement Charest est au plus bas
depuis des mois. Dans les coulisses, le PQ attend
impatiemment de pouvoir réaliser sa promesse de tenir un
autre référendum « le plus tôt possible dans le prochain
mandat ».
Mais cela n'inquiète pas le moins du monde les
conservateurs de Stephen Harper. Ils sont prêts à jouer
leur va-tout et à s'allier avec le Bloc pour déclencher
des élections. Un conservateur éminent déclarait
récemment dans une émission de nouvelles nationale : «
Le Parti a une philosophie du fédéralisme plus proche de
celle des Québécois ». Que voulait-il dire exactement?
Au nom de quels Québécois parlait-il?
On comprend que le Bloc soit pressé d'avoir des
élections, car, avec les forces séparatistes, il a
toutes les chances de sortir grand gagnant au Québec
d'une élection prochaine. Mais pourquoi les
conservateurs sont-ils prêts à courir ce risque au
Canada?
Le Parti conservateur n'a aucune résonance au Québec,
et il n'a pratiquement aucune chance d'y gagner des
sièges, pas plus que le NPD d'ailleurs. Qu'on le veuille
ou pas, c'est le Parti lilbéral fédéral qui s'est
vraiment battu pour préserver l'unité du Canada, et
c'est le seul parti au Québec qui soit capable de le
faire. Harper se fait des illusions lorsqu'il affirme
que les Québécois vont voter pour son nouveau parti en
réaction à la corruption libérale. La faiblesse du Parti
conservateur au niveau des circonscriptions, son appui
au projet américain de défense antimissiles et à la
guerre en Irak, son opposition à l'accord de Kyoto, et
ses prises de position aux antipodes de celles des
Québécois sur bien d'autres questions, anéantissent
toutes ses chances de gagner des sièges dans la province
à court terme. Les efforts désespérés que déploie M.
Harper pour attirer des candidats séparatistes sous la
bannière conservatrice ne changent rien à cette réalité.
Au Québec, depuis des années, ce sont les rouges, les
libéraux, qui mènent le combat contre les
indépendantistes, les séparatistes.
En déclenchant des élections maintenant, bien avant
que la commission n'ait eu le temps de séparer le bon
grain de l'ivraie, les conservateurs de M. Harper
espèrent faire des gains au Parlement. Or, s'ils forment
un gouvernement minoritaire, ils ne pourront s'y
maintenir qu'en utilisant la méthode qui les y a amenés
: en s'alliant avec le Bloc.
On imagine aisément ce qu’un Bloc revigoré et
ravigoté essaiera d'obtenir en échange de son appui aux
conservateurs, et les efforts qu'il déploiera pour saper
la capacité du gouvernement fédéral de gouverner, dans
le but d'encourager un vote favorable à la souveraineté.
Déjà, des Canadiens se sont exprimés à des émissions
de radio pour dire que, si le Québec veut se séparer,
qu'il se sépare.
Pour ceux d'entre nous qui aimons notre pays, cela
signifiera la perte non seulement de la province la plus
vaste, d'une porte d'entrée stratégique sur le
continent, mais aussi d'une grande partie de l'âme de
notre nation, de sa culture, de sa langue, de son
dynamisme et de quatre cents ans d'histoire commune. Un
coup qui risque d'être fatal à l'unité du reste du pays.
Ceux qui sont pressés « de se débarrasser des filous
» feraient bien de réfléchir à ce qui se passerait si un
gouvernement conservateur minoritaire était tributaire
d'un Bloc puissant et impatient de tenir un référendum
au Québec.
Supposons qu'il y ait, d'un côté, le Bloc avec une
soixantaine de sièges fédéraux au Québec, et un
gouvernement PQ nouvellement élu avec une majorité des
députés provinciaux. Qui y aura-t-il en face? Qui
parlera alors au nom du Canada? Qui saura se battre pour
convaincre les Québécois de voter pour le Canada?
C'est ce qu'on fait M. Trudeau en 1980, et M.
Chrétien en 1995, car ils dirigeaient tous deux un
gouvernement majoritaire jouissant d'un appui
substantiel au Québec. Si M. Harper s'imagine que ses
belles paroles vont suffire à convaincre les Québécois
de rester au Canada, il connaît mal cette province.
M. Harper est prêt à courir ces risques, tout comme
M. Mulroney avait « lancé les dés » au cours d’un
célèbre débat sur l’avenir du pays, il y a plus de dix
ans. Aujourd'hui, comme à cette époque, seule une
opposition franche et massive des Canadiens réussira à
empêcher M. Harper de s'essayer à ce jeu dangereux.
David Orchard est l’auteur de Hors des griffes de
l’aigle – Quatre siècles de résistance canadienne à
l’expansionnisme américain. Il a été deux fois candidat
à la direction du Parti progressiste conservateur, en
1998 et en 2003. Il exploite une ferme à Borden, SK. On
peut le joindre au (306) 652-7095, ou à:
davidorchard@sasktel.net
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