Le droit (Ottawa) le 13 septembre 2005
Les retombées inexorables de l'ALENA
de David Orchard
Partout au Canada, le prix de l'essence n'a cessé de
monter pendant l'été. Tout récemment, il a encore grimpé
de 30 %. On nous dit que cette augmentation record vient
du fait que l'ouragan Katrina, dans le golfe du Mexique,
a ralenti la production américaine.
Pourquoi un ouragan aux États-Unis fait-il monter le
prix de l'essence au Canada? Il n'y a pas eu d'ouragan
en Alberta. Aucun puits de forage n'a été endommagé en
Saskatchewan. Et pourtant, les Canadiens paient
aujourd'hui jusqu’à 1,44$ le litre d'essence, soit plus
de 6$ le gallon, ce qui est plus élevé que dans la
plupart des villes américaines. Comment est-ce possible?
Le Canada n'est-il pas un pays producteur de pétrole et
de gaz naturel, et, qui plus est, le principal
fournisseur des États-Unis?
La réponse se trouve dans l’ALE et dans l'ALENA.
Naguère encore, le prix de notre énergie était déterminé
au Canada; nous avions nos propres sociétés pétrolières
et gazières, ainsi que des réserves de gaz naturel qui
devaient répondre exclusivement à nos propres besoins
pendant 25 ans. Rien de plus normal qu'un pays froid,
couvrant un vaste territoire, fasse payer à ses citoyens
un prix moins élevé qu'à l’exportation pour son pétrole
et son gaz naturel -- l'Arabie saoudite, le Venezuela et
les autres pays exportateurs de pétrole font exactement
la même chose pour leurs citoyens.
À l'heure de la mondialisation, l'atout du Canada
était ses ressources énergétiques abondantes. La Chine a
une main-d’oeuvre bon marché, les États-Unis ont un
climat plus clément, le Canada, lui, avait de l'énergie.
Mais tout a changé lorsque, en 1988, le Canada a
signé, pour des raisons encore inconnues de la plupart
de ses citoyens, l'Accord de libre-échange avec les
États-Unis (ALE) et a, de ce fait même, abandonné tout
contrôle sur ses ressources énergétiques.
Rappelons pour mémoire les dispositions de l'ALE
relatives à l'énergie.
Le Canada a renoncé à ce qu'une partie de ses
réserves serve exclusivement à répondre aux besoins
futurs de ses citoyens; autrement dit, la totalité de
nos réserves peut maintenant être exportée. Le Canada a
également accepté de ne jamais faire payer l'énergie
plus cher aux Américains qu’aux Canadiens. De plus, le
Canada s'est engagé à continuer d'exporter aux
États-Unis la même proportion de ses ressources
énergétiques, même en cas de pénurie et même si les
Canadiens doivent en souffrir.
On peut raisonnablement affirmer qu'aucun pays au
monde n'a jamais signé, en temps de paix, un renoncement
aussi global sur le contrôle de ses ressources actuelles
et futures.
En 1994, l'ALE s'est transformé en ALENA pour inclure
le Mexique. Or, le Mexique a refusé, lui, de signer les
clauses énergétiques que le Canada avait signées.
Ceux qui, comme nous, avaient dénoncé l'ALE à
l'époque avaient fait remarquer que ce n'était pas du
libre échange mais plutôt de l'échange forcé. Nous
avions également prédit que l'accord aurait de graves
conséquences pour notre avenir, pour notre sécurité
énergétique et pour notre souveraineté.
On nous avait alors accusés d'être des prophètes de
malheur, d'être opposés au commerce, d'être
protectionnistes, et j'en passe… Aujourd'hui, même nos
ennemis de jadis se rendent compte de la situation
précaire dans laquelle nous nous trouvons.
Une situation qui frappe les Canadiens de plein
fouet, à commencer par leur porte-monnaie, chaque fois
qu'ils achètent de l'essence pour leur voiture, leur
camion, ou leurs machines industrielles ou agricoles.
Alors que le Canada exporte de plus en plus de
pétrole et de gaz naturel -- il est dorénavant le
principal fournisseur des États-Unis, suivi de l'Arabie
saoudite – d'aucuns continuent de justifier ces accords.
Or, en vertu de l'ALE, les États-Unis, qui importent
aujourd'hui plus de 60 % de notre production, pourront
continuer à importer 60% (et plus!) de notre production
à perpétuité, même en cas de pénurie -- les Canadiens
devront se contenter du reste.
Heureusement, nous dit-on, il y a les sables
bitumineux de l'Alberta. Mais on précise rarement que le
pétrole extrait des sables bitumineux est exporté aux
États-Unis sans redevances ou presque, et que de grandes
quantités d'un gaz naturel de plus en plus précieux
servent au raffinage de ces sables bitumineux. Autrement
dit, le Canada subventionne -- à un coût financier et
environnemental élevé -- la vente à bas prix de
ressources précieuses et non renouvelables.
L'ALENA promettait au Canada un accès garanti au
marché américain; ça n'a jamais été qu'une illusion, et
les espoirs sont minces de voir disparaître les tarifs
arbitraires maintenus par les Américains, contrairement
à ce qu'ils avaient promis. Et pendant ce temps, nos
entreprises continuent de se faire racheter : secteur
énergétique ou viande de boeuf, fabrication ou vente au
détail, c'est le rouleau compresseur. Il est temps de se
réveiller.
Nous devons absolument enteprendre une étude globale
des conséquences de l'ALE et de l'ALENA, d'un océan à
l'autre, pour notre économie et notre souveraineté,
étude qui serait assortie de recommandations bien
documentées pour l'avenir.
Intégrer notre énergie et notre économie à celles des
États-Unis reviendrait à donner à ce pays des droits de
propriété et des pouvoirs de décision en matière de
priorités et de prix. Nous perdrions ainsi le contrôle
de notre propre destinée et la capacité de décider
comment utiliser nos ressources dans l'intérêt de notre
nation.
Nous ne sommes pas obligés de rester liés par des
accords qui font exploser les prix de notre énergie ni
de continuer d'accepter que le contrôle de notre
économie et de notre destinée soit de plus en plus
assumé par des intérêts étrangers.
Certains estiment que le Canada doit continuer de
ramer, mais il y a une autre solution. L'ALE et l'ALENA
comportent tous les deux des clauses de retrait qui
permettent au Canada, avec six mois de préavis, de se
retirer sans pénalité et d'en revenir, avec les
États-Unis, aux règles commerciales multilatérales qui
existent actuellement.
Il ne faut pas attendre que nos industries et notre
agriculture aient perdu toute compétitivité ou que les
Canadiens en soient rendus à quémander leur propre
énergie à 40 degrés sous zéro. La catastrophe qui a
frappé le golfe du Mexique doit nous faire réfléchir et
nous pousser à agir : le Canada a d'importantes
décisions à prendre pour assurer sa survie.
David Orchard est l’auteur de Hors des griffes de
l’aigle – Quatre siècles de résistance canadienne à
l’expansionnisme américain. Il a été deux fois
candidat à la direction du Parti progressiste
conservateur, en 1998 et en 2003. Il exploite une ferme
à Borden, SK. On peut le joindre au (306) 652-7095, ou
à:
davidorchard@sasktel.net,
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