Le devoir, le 19 mai 2006
Nous faisons fausse route en Afghanistan
de David Orchard
Alors que les Canadiens continuent de se battre et de
mourir en Afghanistan, le premier ministre Harper
déclare que le Canada « ne se défilera pas », malgré le
nombre croissant de victimes. Le chef d'état major de la
défense, Rick Hellier, affirme de son côté que « le
Canada est en Afghanistan pour longtemps... au moins
pour dix ans, et sans doute plus. » Le ministre canadien
des Affaires étrangères, quant à lui, est catégorique :
« le Canada ira jusqu'au bout ».
Mais pourquoi le Canada est-il en Afghanistan?
On nous dit que l'Afghanistan était un repaire de
terroristes et que, par conséquent, pour protéger le
reste du monde, il fallait renverser son gouvernement.
En droit international, cependant, il ne suffit pas
d'affirmer qu'un pays est un repaire de terroristes pour
justifier l'occupation aggressive dudit pays. On
pourrait d'ailleurs dresser une longue liste des pays
qui ont abrité, bon gré mal gré, des gens qu'on pourrait
qualifier de terroristes. Le droit international
n'autorise le recours à la force militaire que dans le
cas où un pays fait l'objet d'une attaque directe et
persistante ou à condition que ce recours soit autorisé
par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Or, le Canada n'a jamais été attaqué par
l'Afghanistan.
Quant au Conseil de sécurité, les résolutions
adoptées à l'ONU au sujet de l'Afghanistan avant
l'invasion américaine d'octobre 2001 ne prévoyaient
aucunement le recours à la force militaire. Aujourd'hui,
les soldats canadiens ne sont pas sous le contrôle de
l'ONU, ils ne portent pas un casque bleu, et ils sont
placés sous le commandement américain, dans le cadre de
l'opération « Enduring Freedom ».
La démocratie sous la menace
Mais nous y sommes pour la bonne cause, nous dit
notre gouvernement : pour aider un pays déchiré par la
guerre à retrouver la stabilité; pour apporter la
démocratie à un pays qui en a grandement besoin; et pour
favoriser l'émancipation des femmes et des jeunes filles
qui ont cruellement souffert sous le joug des Talibans.
Pourtant, l'histoire nous enseigne qu'on peut
rarement imposer la « démocratie » à un pays sous la
menace du canon. Que les pays qui essaient d'imposer
leur système de gouvernement à d'autres pays provoquent
inéluctablement de la résistance. Que bon nombre de
guerres coloniales en sont des exemples flagrants, y
compris celles qui ont marqué l'histoire de
l'Afghanistan.
Parlons maintenant de l'influence de l'Occident sur
la société afghane. Selon un rapport de l'Association
révolutionnaire des femmes d'Afghanistan publié peu de
temps après l'invasion, la situation des femmes était
pire sous le contrôle de nos Alliés, l'Alliance du
Nord, que du temps des Talibans. Selon cette
Association, « Dès qu'ils [l'Alliance du Nord] ont pris
le pouvoir, ces gens-là ont décrété, parmi d'autres
restrictions sordides, le port obligatoire du voile pour
toutes les femmes. Il faut que le monde entier sache que
pour ce qui est du nombre de viols perpétrés sur des
filles et des femmes âgées de 7 à 70 ans, les Talibans
sont loin d'égaler les alliés de l'Alliance du Nord... »
Et il s'agit de femmes qui s'étaient précisément
opposées aux Talibans dans le passé et qui, à ce titre,
avaient été célébrées dans les médias américains avant
l'invasion.
Impact de l'uranium
Le Canada fait aujourd'hui partie des forces
étrangères qui occupent l'Afghanistan, et il participe à
une guerre qui a fait au bas mot 20 000 victimes
afghanes pendant les six premiers mois.
C’est en 1991, lorsqu’ils ont attaqué l’Irak, que les
États-Unis ont utilisé pour la première fois des
munitions en uranium appauvri. Depuis, ils en ont
utilisé de grandes quantités en l’ancien Yugoslavie, en
Iraq et en Afghanistan. La contamination causée par
l’uranium appauvri reste extrêmement toxique pendant des
centaines de milliers d’années. Dans Update on
Depleted Uranium and Gulf War Syndrome, la docteure
Rosalie Bertell affirme que l’utilisation d’uranium
appauvri constitue « une violation flagrante du
Protocole de Genève sur l’utilisation de gaz en cas de
conflit ». Selon elle, « l’uranium appauvri produit ce
qu’on qu’on appelle communément des ‘vapeurs
métalliques’, soit un gaz extrêmement toxique quand on
le respire. On peut aussi le classer dans la catégorie
des armes radiologiques à capacité de destruction
indifférenciée, qui transcendent les frontières
nationales et dont les effets persistent bien après la
fin du conflit ». En attendant, on parle très peu de
l’incidence de l’uranimum appauvri sur la population
afghane et sur les soldats américains et canadiens.
Il faudrait peut-être essayer de voir un peu plus
loin que les raisons invoquées officiellement pour
justifier cette guerre. Dans son livre intitulé
Perpetual War for Perpetual Peace, l'écrivain
américain éminent Gore Vidal écrit que « Nous avons
besoin de l'Afghanistan parce que c'est la porte
d'entrée de l'Asie centrale, laquelle regorge de pétrole
et de gaz naturel... C'est aussi simple que cela. Nous
sommes en train de prendre le contrôle de l'Asie
centrale. »
Il est temps que le Canada se pose de sérieuses
questions quant à son engagement dans cette guerre. S'il
veut vraiment y jouer un rôle de maintien de la paix, il
faut alors que les États-Unis commencent par s'en
retirer. Ce n'est qu'à cette condition que le Canada
peut envisager, s'il y est invité par les Nations Unies,
de contribuer à stabiliser ce pays. Participer à une
opération militaire conduite par les Américains dans le
but de contrôler le pays ne revient pas à maintenir la
paix, bien au contraire.
Les menaces proférées par les États-Unis envers
l'Iran sont les signes annonciateurs d'une escalade
d'événements qui ne peuvent être justifiés sur les plans
juridique, moral ou pratique mais dans lesquels le
Canada risque de se retrouver irrémédiablement entraîné.
David Orchard est l’auteur de Hors des griffes de
l’aigle : Quatre siècles d’expansionnisme américain. Il
exploite une ferme à Borden, SK. Il s’est présenté à
deux reprises à la direction de l’ancien Parti
progressiste conservateur du Canada et est aujourd’hui
membre du Parti libéral du Canada. On peut le joindre à
davidorchard@sasktel.net ou au (306) 652-7095.
page précédent
haut de page |