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Le soleil (Québec) le mardi 14 mars 2006

Le pouvoir par la confusion

par David Orchard

Il y a deux ans et demi, Stephen Harper était chef d’un parti politique régional anémique dont les prises de positions étaient loin de rallier la majorité des Canadiens.

Aujourd’hui, M. Harper est Premier ministre du Canada.

Deux facteurs sont à l’origine de ce revirement politique national.

D’abord, la victoire de M. Harper s’enracine dans ce qui aura été la dernière course à la chefferie du parti progressiste conservateur le 1er juin 2003, alors que Peter MacKay devient chef en s’engageant, par écrit, à ne pas fusionner avec le parti de l’Alliance canadienne réformiste (lequel est issu du parti créditiste-social de l’Alberta). Peu après et malgré sa promesse, il n’hésite pourtant pas a livrer le parti progressiste conservateur à M. Harper, avec son nom, sa couleur (bleu) et son logo. Le nouveau parti s’est désigné lui-même « Torie » et auto-proclamé « héritier » du parti fondateur du Canada de John A. Macdonald.

L’approbation du nom « Conservateur » par l’Alliance réformiste s’avère un véritable coup d’état. En se débarrassant de sa couleur verte, essentiellement dénuée de sens, et s’appropriant la couleur et la puissante histoire des « bleus » de Georges-Étienne Cartier, éminent co-fondateur du pays, le parti de Stephen Harper a realisé ce qu’un observateur du Québec a nommé « la prise du pouvoir par la confusion ».

Ensuite, l’autre facteur déterminant, ce fut le NPD lequel a déclenché la récente élection au moment le plus opportun pour M. Harper et ainsi aider, intentionnellement ou non, les « nouveaux » conservateurs à gagner.

La campagne du NPD a commencé avec Ed Broadbent déclarant que Stephen Harper n’était plus désormais « si effrayant que ça »; puis Jack Layton a fait l’éloge de ses nouveaux partenaires de coalition, le Bloc et les conservateurs (pour leur attitude raisonnable et responsable) légitimant davantage les deux partis; et elle s’est terminée avec une attaque en règle de Broadbent non pas contre les conservateurs bénéficiant d’une avance dans les sondages, mais bien contre les anciens alliés du NPD, les libéraux de Paul Martin.

Durant cette même période, M. Layton et son parti ont utilisé leur budget publicitaire å bombarder les libéraux « corrompus » tout en se montrant presque indulgents à l’égard des conservateurs en leur tapant sur les doigts avec des phrases comme : « vous vous trompez sur les questions » . Le NDP s’offrait aux Canadiens comme troisième option plutôt que de voter « pour les conservateurs ou pour la corruption », comme si le parti conservateur, créé dans la déception et la trahison (y compris un vote truqué concernant la fusion) et portant le poids que représentent les dirigeants de Brian Mulroney et le scandale qui hante leur passé, pouvait être moins corrompu que les libéraux.

Finalement, la division du vote entre le NPD et les libéraux a confié au Bloc et à M. Harper l’avenir du pays.

En nouvel allié, le leader parlementaire du Bloc déclarait « Nous voulons, pour un temps, aider le gouvernement à fonctionner ». « Pour un bon moment », répétait Michel Gauthier, au cas où on n’aurait pas compris le message, « pour faire ce qui doit être fait ».

Le rôle du NPD dans la réhabilitation de M. Harper et dans son accession à la tête du pays rappelle de façon frappante le rôle que ce même parti a joué lors de l’élection de 1988 sur le libre-échange où Ed Broadbent fusillait le chef libéral John Turner qui luttait pour la souveraineté canadienne. Le NPD avait alors joué un rôle crucial dans l’adoption de l’accord sur le libre-échange, de l’ALENA, de la TPS et de quatre années de plus pour Brian Mulroney.

En 2006, le fait que, dans une vingtaine de circonscriptions, quelques milliers de votes soient allés au NPD plutôt qu’aux libéraux a donné le pouvoir à un parti que la majorité des canadiens ont essayé de leur mieux de bloquer au scrutin. Buzz Hargrove, le président national des Travailleurs Canadiens de l’Automobile, a demandé que cesse la division du vote entre les libéraux et le NPD pour que soit mieux reflété le choix réel de la population et mette un terme à la libre course des conservateurs.

Il convient aussi de noter le choix de la presse de traiter M. Harper avec des gants blancs, par quoi un homme avec son adhésion indéfectible aux politiques étrangères américaines et inspiré, de son propre aveu, par le mouvement de l’aile droite conservatrice des États-Unis fut soudainement transformé en un politicien canadien modéré, voire même progressiste , se situant dans la ligne du courant dominant. Les maîtres-penseurs entourant Harper savaient que les dirigeants de l’aile droite ne gagnent pas, au Canada, les élections fédérales. Et voilà que, pratiquement du jour au lendemain, M. Harper cesse d’en être un et les média semblent gober tout ça. Si bien que toutes tentatives pour attirer l’attention sur le passé largement documenté de M. Harper ont été rejetées du revers de la main et qualifiées de « campagne de peur ».

II ne restait plus qu’à l’ancien vice-président des États-Unis, Al Gore, de réveiller les Canadiens. Lors d’une entrevue explosive à Park City en Utah, remarquablement peu soulignée par la presse canadienne, M. Gore a dit « l’élection au Canada était en partie à propos des projets d’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta. Les investisseurs derrière ces projets ont donné beaucoup d’argent et de support pour un dirigeant ultra-conservateur dans le but de gagner l’élection… et de protéger leurs intérêts ».

M. Gore a fait remarquer que l’une des choses que veut l’industrie du pétrole des États-Unis, c’est que le Canada se retire de l’accord de Kyoto.

Pendant que l’entourage de Mulroney passe de l’ombre aux postes clés au sein du gouvernement et du cabinet, pendant que s’alourdit l’étonnant silence en ce qui concerne l’importante somme d’argent comptant qu’aurait reçue Mulroney de la part de Karl-Heinz Schreiber (malgré sa déclaration sous serment qu’il n’y a eu « aucune entente quelle qu’elle soit » entre M.Schreiber et lui) le pays attend de voir la prochaine action de M. Harper et l’explication de M. Layton, à savoir pourquoi il a ouvert la porte à l’alliance « Harper - Bloc ».

Nous attendons également l’enquête de la GRC sur les allégations de M. Gore concernant des fonds étrangers versés à un parti politique canadien ainsi que sur la déclaration de M. Schreiber laquelle, si véridique, indique, à première vue, un cas de parjure contre M. Mulroney.

M. Harper et son ministre de la Justice, Vic Toews, ont promis de « nettoyer » les politiques canadiennes et de « se montrer durs face au crime ». Voilà de bonnes occasions de commencer.


David Orchard est l’auteur de « Hors des griffes de l’aigle - Quatre siècles de résistance à l’expansionnisme américain », et a été candidat à la direction du Parti fédéral progressiste conservateur en 1998 et en 2003. Il exploite une ferme à Borden, SK. Il est à Québec pendant les prochaines semaines. On peut le joindre au (418) 688-1426, ou par courriel à davidorchard@sasktel.net, http://www.davidorchard.com

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