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Le Soleil, édition on ligne, le mercredi 13 février 2008

L'Afghanistan est-il notre nouvelle guerre coloniale?

David Orchard
Ex-candidat à la direction du Parti progressiste conservateur

Le gouvernement Harper cherche à prolonger la présence militaire du Canada en Afghanistan. À ce jour, six années, des milliards de dollars et 78 jeunes vies (et des blessés en plus grand nombre encore) y sont passés pour notre pays, en plus des pertes inconnues qu'a encourues son «hôte».

Les termes employés pour décrire notre occupation et la guerre qui se poursuit ressemblent remarquablement à ceux dont usaient, il y a un siècle, les puissances coloniales afin de justifier leurs impitoyables guerres de colonisation. On parlait alors du «fardeau de l'homme blanc»: celui de «civiliser» les peuples de couleur des Amériques, d'Afrique et d'Asie. On apprenait aux louveteaux la prose inoubliable de Kipling à propos des «moindres races ignorantes de la Loi», mais sans rien leur dire de la réalité vécue par ces gens et du terrible tribut qu'ils ont dû payer en vies humaines, en destruction et en vol de leurs terres et de leurs ressources.

Une «mission» humanitaire avec des bombes et des fusils...

Aujourd'hui, nous sommes mêlés à une «mission» en Afghanistan se donnant pour objet d'«améliorer» la vie des femmes et des enfants, d'installer la «démocratie», d'extirper la corruption et le trafic de la drogue.

Faire la guerre avec des bombes et des fusils n'aide pas les femmes et ne facilite pas l'implantation de la démocratie. En revanche, cela renforce la résistance afghane — d'où nos appels de plus en plus stridents à davantage d'aide de la part de l'OTAN.

Les États-Unis sont engagés dans une «mission» semblable en Irak. À ce jour, plus d'un million d'Irakiens — dont beaucoup d'enfants — sont morts, quelque deux millions ont fui le pays, deux autres millions sont devenus des «déplacés internes», et Dieu sait combien de centaines de milliers ont été blessés dans une guerre sans fin menée par la puissance militaire la plus avancée au monde presque entièrement contre des civils.

Le compte des morts, des blessés et des personnes déplacées pour l'Afghanistan n'a pas été divulgué. On n'a même pas commencé à estimer ou à comprendre — et encore moins à nous rapporter — les effets mortels de l'uranium appauvri (UA) radioactif (dont une partie provient à l'origine de Saskatchewan) infligés aux deux pays. L'idée d'améliorer la vie des femmes et des enfants en les bombardant n'a pu venir que de gens qui n'ont jamais subi la réalité de la guerre.

En 2001, le trafic de l'opium était proche d'être éradiqué

Pour ce qui est des narcotiques, en 2001, alors que débutait l'attaque occidentale contre l'Afghanistan, le trafic de l'opium y était près d'être éradiqué. Aujourd'hui, l'Afghanistan produit plus de 90% de l'héroïne au monde et les États-Unis se proposent d'y procéder à un arrosage aérien massif de pesticides.

Les lecteurs qui sont de la même génération que l'auteur ou plus âgés se souviendront de l'assaut américain contre le petit Vietnam, cette longue guerre inqualifiable qui a laissé dans son sillage six millions de Vietnamiens, de Laotiens et de Cambodgiens morts, blessés ou difformes.

Dans cet extraordinaire pays, on voit les tombes s'étendre en rangs serrés sur des milles et des milles dans les cimetières, des milliers d'acres — arrosés par avion avec d'horribles produits chimiques — toujours en friche, des cratères laissés par des dizaines de millions de tonnes de bombes, des tunnels creusés sous terre à la main où les gens ont été contraints de vivre pendant des années. Comme le dit un vieux proverbe africain: «la hache oublie, mais pas l'arbre.» Aujourd'hui, plus de quatre millions de Vietnamiens souffrent toujours, maints d'entre eux de façon indescriptible, des effets de l'Agent Orange et d'autres produits chimiques, et les dommages génétiques se perpétuent de génération en génération.

L'Occident blanc a-t-il le droit de mener des guerres contre des non-blancs du tiers-monde?

Dans le cas du Vietnam, le Canada n'y a pas envoyé de troupes. Depuis la dernière décennie toutefois, le Canada a bombardé la Yougoslavie, il a aidé à renverser le gouvernement démocratiquement élu de Jean-Bertrand Aristide en Haïti, il occupe l'Afghanistan et maintenant, apprend-on, il est de plus en plus mêlé à la dévastation de l'Irak par les États-Unis. (C'est ce que Stephen Harper et Stockwell Day préconisaient ouvertement depuis le début de l'assaut américain dit «Shock and Awe » — «Choc et crainte respectueuse» — contre ce pays sans défense.)

Qu'est-ce qui donne à l'Occident blanc, riche et puissant le droit de mener des guerres implacables et sans fin contre de petits pays surtout non-blancs du Tiers-Monde? (La Yougoslavie, où l'Occident a inventé le bombardement «humanitaire», n'était pas un pays du tiers-Monde, mais d'après le Président Bill Clinton, il avait besoin d'accepter les bienfaits du «mondialisme».) On parle peu en Occident des tourments que subissent les civils sous l'impact de l'armement moderne. C'est une politique officielle que de ne pas informer les Canadiens du nombre ou des types de blessures que nous avons infligées.

Les concepts modernes d'«intervention humanitaire» et de «devoir de protéger» qui cherchent à passer outre au droit international et à la souveraineté nationale ne sont, pour l'auteur de ces lignes, que des termes du XXIe siècle pour la colonisation.

Restes de guerres coloniales...

Les assauts militaires contre les fermiers misérables d'Afghanistan et d'Haïti et une population irakienne qui se bat pour sa survie même appartiennent à une longue tradition barbare remontant au trafic des esclaves et aux guerres coloniales pour les ressources naturelles, et à mon avis ils seront un jour vus dans un tel contexte. Entre-temps, le calvaire de millions de gens n'atteint pas nos oreilles et nos yeux, et le premier ministre Harper est occupé à donner des coups de fil afin de consolider l'appui à la guerre dirigée par les États-Unis, cherchant à obtenir plus de troupes et d'hélicoptères afin de «terminer le travail»,

Quand le Canada a assisté l'Empire britannique dans la Guerre des Boers il y a plus d'un siècle, c'est le Québec qui était à la tête de l'opposition. C'est encore une fois la résistance du Québec, se faisant entendre haut et fort — et le fait que l'ancien premier ministre Chrétien y ait été attentif — qui a aidé le Canada à garder ses troupes hors d'Irak. Aujourd'hui, il revient aux Canadiens qui sont capables d'éprouver quelque chose de l'angoisse du tiers-monde d'élever leur voix pour les sans-voix et contre le nouveau gouvernement de conquistadores en herbe du Canada.


David Orchard est l'auteur de Hors des griffes de l'aigle. Quatre siècles de résistance canadienne à l'expansionnisme américain. (Traduit par Monique Perrin d'Arloz. Westmount QC: Éditions Multimédia Robert Davies, 1998.) Il est un fermier de la Saskatchewan.

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