Le devoir,
le 27 septembre, 2003
Un dossier confus — La grande alliance
L’arrivée de Paul Martin force la droite
canadienne à redoubler d’effort pour s’unifier
de Manon Cornellier
Ottawa — Maintenant que les libéraux
se sont choisi un chef aux allures de rouleau compresseur,
la droite redouble d’efforts pour tenter de
se donner un parti unique. Ce nouvel empressement
teinté de confusion témoigne cependant
davantage de la force de Paul Martin que d’une
soudaine bonne entente entre l’Alliance canadienne
et le Parti progressiste-conservateur.
La méfiance transpire de partout, les alliancistes
jouent les gros bras et les conservateurs n’ont toujours
pas surmonté plusieurs obstacles importants
: la résistance de certains députés
et l’opposition prévisible de David Orchard,
le candidat au leadership défait qui s’est
rangé derrière Peter MacKay à
la suite d’une entente qui excluait toute fusion avec
l’Alliance.
Les discussions entre l’Alliance canadienne et le Parti
progressiste-conservateur ont secrètement repris
cet été, à l’initiative du nouveau
chef conservateur Peter MacKay et après que
le chef allianciste Stephen Harper eut manifesté
publiquement son désir de relancer les pourparlers.
Leur but : créer un seul parti d’allégeance
conservatrice capable de faire la lutte aux libéraux
lors des prochaines élections.
«L’échéancier est en réalité
déterminé par Paul Martin. On s’attend
à des élections au printemps et il suffit
de faire le compte à rebours pour constater
qu’il nous reste très peu de temps pour faire
ce qui est nécessaire. Il n’y a pas de date
butoir pour s’entendre mais le plus tôt sera
le mieux», de confier un conseiller allianciste.
Les deux partis de droite se combattent depuis 1993
sans jamais arriver à s’éliminer. Ils
ont bien fait quelques tentatives de rapprochement,
sans succès et au grand plaisir des libéraux.
Cette fois, ils craignent que l’arrivée de
Paul Martin réduise encore plus leur base.
L’Alliance risque de se voir cantonner, en majeure
partie, à sa terre natale albertaine et le
Parti conservateur, d’être réduit à
quelques sièges. Pour les deux partis, il y
a donc urgence à faire l’unité.
Le cirque des fuites
C’est cet été, après quelques
rencontres et conversations téléphoniques,
que les deux chefs ont décidé de confier
les négociations à des émissaires.
M. MacKay a choisi l’ancien ministre conservateur
Don Mazankowski, l’ancien premier ministre ontarien
Bill Davis et le député Loyola Hearn.
M. Harper s’en est remis à son député
Scott Reid, à l’ancien député
réformiste et ex-vice-premier ministre albertain
Ray Speaker et au sénateur Gerry Saint-Germain,
un ancien conservateur.
Les six hommes se sont rencontrés une première
fois le 21 août dernier et une seconde fois
lundi et mardi derniers. Tout a failli capoter le
18 septembre quand l’existence jusque-là secrète
des pourparlers a été révélée
par un député allianciste. Les fuites
se sont alors multipliées et la confusion s’est
installée. «Je suis moi-même incapable
de distinguer le vrai du faux dans tout ce qui se
dit car les discussions sont confidentielles»,
fait remarquer un membre de l’entourage de Peter MacKay.
Hier encore, personne ne savait plus à quoi
s’en tenir. M. Harper disait, après avoir reçu
un rapport de ses émissaires en fin de journée,
que ces derniers croyaient à un moment être
proche d’un accord mais qu’il ignorait encore la position
définitive du chef conservateur sur nombre
d’enjeux. À son avis, les discussions ne pourraient
reprendre lundi, comme prévu, sans qu’il ne
l’ait obtenue. Mais il a averti que cela devrait se
faire rapidement car le temps commence à manquer.
Un des émissaires conservateurs, Loyola Hearn,
a aussitôt répliqué en disant
que «si M. Harper arrêtait de s’en mêler,
on pourrait accomplir notre travail». Selon
lui, le chef allianciste «veut imposer des échéanciers
artificiels pour avoir une décision rapide
qui l’avantage». «Nous sommes exceptionnellement
près d’un accord [et] nous pourrions arriver
à [un accord] avec quelques heures de travail
supplémentaires», a soutenu M. Hearn.
Les deux chefs et leur entourage ont joué à
ce genre de ping-pong toute la semaine. Pendant que
Stephen Harper faisait pression pour conclure l’affaire
rapidement, Peter MacKay s’indignait qu’on ne respecte
pas comme convenu la confidentialité du travail
des émissaires.
La tension est montée d’un autre cran mardi
quand le contenu de la seconde ronde de négociations
a filtré dans les médias, avant même
que le caucus conservateur n’en ait été
informé. Les médias faisaient état
d’un plan en 14 points soumis par M. Harper, dont
un seul élément, la façon de
choisir le chef, posait encore problème.
Pour M. MacKay, c’était synonyme de «marcher
sur une corde raide» et il a dû répéter
à maintes reprises qu’il n’entendait pas bazarder
les valeurs et les principes de son parti pour une
chanson. Certains députés, comme André
Bachand et Gerald Keddy, ont quand même manifesté
publiquement leur désapprobation. «Ça
me donne de l’urticaire et il n’y a pas un dermatologue
qui est capable de régler mon problème»,
a lancé M. Bachand, le seul député
conservateur québécois. D’autres députés
se disaient, comme lui, frustrés d’être
tenus dans le noir.
«Le véritable enjeu [de ces discussions]
maintenant est la confiance», concluait M. MacKay
après avoir vu les manchettes des journaux
de mercredi. Stephen Harper, lui, en remettait, soutenant
que le moment de vérité approchait,
que les émissaires étaient sur le point
de rendre leur rapport. «Ce sera, d’ici quelques
jours, le temps de décider», a-t-il dit,
ce que démentait avec vigueur M. MacKay quelques
minutes plus tard.
Jeudi, même scénario. Pendant que M. MacKay
refusait de dévoiler la teneur des discussions,
Stephen Harper affirmait qu’un accord de principe
était pour ainsi dire conclu et qu’il n’attendait
que le rapport de ses émissaires pour trancher.
La réplique de M. MacKay n’a pas tardé.
«Ceux qui suggèrent que c’est fait semblent
vouloir nous presser vers la conclusion d’un processus
qui est loin d’être terminé. [...] Les
émissaires n’ont eu que deux réunions»,
a-t-il souligné vendredi matin.
Les proches du chef conservateur cherchaient encore
à s’expliquer hier comment les choses avaient
pu dégénérer de la sorte. Ils
accusaient volontiers les alliancistes des pires desseins.
Les hypothèses étaient de deux ordres.
Ou M. Harper n’aime pas les compromis qu’il devra
faire et cherche à faire échouer le
processus tout en en faisant porter le blâme,
encore une fois, aux conservateurs, ou il souhaite,
comme le dit M. Hearn, pousser les conservateurs vers
une solution rapide afin de préserver tout
le terrain qu’il occupe encore.
Dans les rangs alliancistes, on rejette ces conjectures.
On souligne plutôt que les fuites des dernières
semaines ont plutôt mis en lumière le
manque d’appui de M. MacKay. On se demande si, dans
le fond, il sera capable de livrer la marchandise
et, par conséquent, si on ne perd pas son temps
avec ces discussions.
Un fruit encore vert
Cet effort de rapprochement entre les deux partis,
le plus sérieux depuis longtemps, est la dernière
chance qu’ont les deux partis de s’entendre avant
les élections. L’affaire est toutefois loin
d’être dans le sac. Si ces pourparlers aboutissent,
les deux chefs devront ensuite obtenir l’appui de
leur caucus et de leur parti, ce qui n’est pas assuré.
Surtout pour les conservateurs.
Ils ont un obstacle unique à franchir : David
Orchard. «C’est un gaspillage de temps de tenir
ces pourparlers. Il est plus important pour nous de
reconstruire le parti», confiait-il au Devoir
cette semaine. Selon lui, la démarche actuelle
ne sert que les intérêts de l’Alliance.
«Est-ce qu’on pense que ce serait bon pour le
Parti conservateur dans la province de Québec
d’avoir une alliance avec Stephen Harper ? Je pense
que non», ajoute-t-il.
Il dit être «inquiet» et avertit
qu’abandonner le nom du parti ou l’obligation de présenter
des candidats conservateurs dans tous les comtés
équivaudrait à trahir l’entente intervenue
entre lui et
M. MacKay lors du congrès au leadership de
mai dernier.
M. Orchard n’a pas parlé à M. MacKay
récemment, seulement à son chef de cabinet.
Il est clair cependant qu’il a son chef à l’oeil
et il tient à rappeler que «le parti
a une constitution et que, pour la changer, il faut
obtenir l’appui des deux tiers des délégués
à une réunion convoquée à
cet effet».
Or les supporteurs de M. Orchard lui sont très
dévoués, et ce, depuis longtemps. Ils
ne se sont rangés derrière M. MacKay
au congrès qu’après avoir pris connaissance
de son entente avec leur candidat.
David Orchard n’a pas mis fin à ses activités
politiques. Son site Internet et les lignes téléphoniques
de sa campagne au leadership fonctionnent toujours.
Il n’en parle pas mais, s’il s’y
met, il peut remobiliser son monde pour le congrès
qui devrait modifier la constitution du PC.
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