Publié en anglais, Toronto Star le 23 août 2005 et Vancouver
Sun le 25 août 2005
Une simple solution
par Mel Clark et David Orchard
Dans la vague de protestations qui déferle sur le refus des
États-Unis à respecter la dernière décision imposée par l'ALENA sur
l'industrie du bois, il y a quelque chose qui manque.
Les articles se multiplient, les anciens négociateurs et
défenseurs de l'ALENA ont des mots durs, traitant les Américains de
tous les noms, d'autres suggèrent des menaces irréfléchies ou
exigent que le premier ministre "parle" à Bush.
Aucune de ces réactions n'offre un plan concret de riposte
possible pour le Canada.
Dans cette cacophonie de fulminations, on a oublié le fait que le
Canada fait déjà partie d'un accord commercial cohérent avec toutes
ses règles avec les États-unis. C'est l'accord de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC), autrefois l'Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce, le GATT, et cet accord a déjà mis
en place les mécanismes qui permettraient au Canada de sortir en
vainqueur incontesté de cette courante situation.
Fondé fin 1940, le GATT/OMC a été pendant près de plus de
quarante ans le traité principal de commerce entre le Canada et les
États-unis. Pendant toute cette période, les
États-unis n'ont jamais pu prélever de droits compensatoires ni de
taxes antidumping sur nos exportations de bois. Durant ces quarante
années le commerce du Canada était prospère, le niveau de vie
montait et le Canada gagnait presque toujours toutes les disputes
commerciales avec les États-unis et, Washington se conformait aux
règles. Vers la moitié des années 1980, 90% du bois canadien entrait
aux États-unis sans tarif et les droits sur le restant des 10%
étaient négligeables.
C'est seulement lorsque le Canada a décidé de se soustraire aux
règles du commerce dans un cadre de libre-échange multilatéral en
faveur d'un accord (ALE) dans un cadre bilatéral, en tête à tête
avec les États-unis, que les États-unis ont vu leur chance et en ont
profité. Ils en profitent encore.
Selon l'ALE et l'ALENA , c'est la loi des États-unis qui
s'applique maintenant aux exportations canadiennes, conflit qui
touche aux droits compensatoires et à l'antidumping avec les
États-Unis. Le jury en charge des conflits ne peut que décider si
les États-Unis ont appliqué leur propre loi correctement! En plus
les États-Unis peuvent à tout moment modifier leur loi sur le
commerce sans l'accord du Canada et pour le bois ils l'ont déjà fait
trois fois au grand désavantage du Canada. En d'autres mots, l'ALE
et l'ALENA, au lieu de sécuriser l'accès au marché américain, ont
permis aux forces du protectionnisme américain de se déchaîner
contre le Canada d'une façon qui n'aurait pas été possible dans le
cadre du GATT/OMC.
Quant au mécanisme de résolution des conflits, vanté sans cesse
comme "le joyau de la couronne" de l'ALE, il vaut la peine de
répéter que tout accord se termine lorsque l'un ou l'autre des
joueurs rejette les méthodes négociées de résolution. La solution
n'est pas de menacer du poing ni de crier des menaces en l'air. La
solution est simplement de revenir à l'accord cadre multilatéral
déjà existant du OMC, plus sûr et plus
efficace, dont le Canada et les États-Unis sont encore membres.
Selon l'OMC nous avons tous les leviers pour récupérer les 5
milliards de dollars que les États-Unis ont pris en tarifs sur notre
bois et pour nous assurer que cela ne se reproduise plus.
Lorsque les États-Unis ont menacé, il n'y a pas très longtemps,
de prélever de lourds droits sur l'acier contre l'Europe, le Japon
et nombre d'autres exportateurs d'acier, l'Europe a commencé le
processus de représailles de l'OMC et l'administration de Bush est
revenue sur sa position.
Depuis la signature de l'ALE et de l'ALENA, les États-unis ont
intenté dix actions commerciales contre la Commission canadienne de
blé, la plus importante source de revenus de monnaie étrangère, et
maintenant nous avons des tarifs américains sur nos exportations de
blé. Pendant toutes les années ou nous avons commercé avec les
États-unis dans le cadre du GATT, les Américains n'ont jamais tenté
aucune action officielle contre la Commission canadienne de blé car
ils savaient qu'ils ne pourraient gagner.
L'essence de l'ALE et de l'ALENA est que ces accords cèdent des
pouvoirs gouvernementaux vitaux aux États-Unis et au secteur privé,
pouvoirs utilisés pour bâtir un Canada indépendant. Ce que les
États-Unis veulent de ces défis continuels lancés contre les
exportations canadiennes de bois c'est de décourager le Canada
jusqu'à ce qu'il cède à la privatisation de ses forêts de la
Couronne, laissant la voie libre aux États-Unis de se les
approprier. Pour le blé, les États-Unis veulent la fin de la
Commission canadienne de blé. Cela signifierait que du jour au
lendemain le commerce du grain canadien passerait aux mains des
Américains.
Il y a une simple solution pour s'en sortir sans fulminations ni
insultes. Le Canada n'a pas à céder ni ses forêts ni ses industries
ni ses institutions.
Par simple lettre aux États-Unis, selon l'article 2106 de l'ALE,
article 2205 de l'ALENA, le Canada peut avec 6 mois de préavis se
retirer de ces accords sans pénalités et sans conditions. Nos
relations commerciales avec les États-Unis seront automatiquement
soumises à la loi internationale dans le cadre du GATT/OMC, ce qui
nous permettra de garder nos institutions et d'entretenir des
relations commerciales rentables avec les États-Unis.
Tous les droits intolérables de l'ALENA que les compagnies
américaines ont maintenant vis à vis du Canada (poursuivre le
gouvernement canadien, annuler les lois canadiennes, contrôler nos
exportations et prix d'énergie) disparaîtraient. Le Canada
retrouverait son statut de nation souveraine.
La poursuite de ce rêve d'avoir "une relation spéciale" avec les
États-Unis et de trouver un raccourci pour "s’en sécuriser l'accès"
au marché américain est une illusion dangereuse qui a coûté cher au
Canada. Les superpuissances n'ont ni amis ni "relations spéciales",
elles n'ont que des intérêts et les poursuivent. Le Canada doit
apprendre à faire de même.
Mel G. Clark est un négociateur supérieur de commerce
international. Il était négociateur député en chef lors des
discussions du GATT à Tokyo pour le Canada et principal négociateur
du Canada pour l'Accord international du grain. En retraite et
établi à Ottawa, il écrit à présent un livre sur l'impact de l'ALENA
sur le Canada.
David Orchard est l'auteur de livre « Hors des griffes de l'aigle
» quatre siècles de résistance à l'expansionnisme américain" et
s'est présenté à la candidature fédérale du chef du Parti
Progressiste Conservateur en 1998 et 2003. Il est agriculteur à
Borden SK. Courriel:
davidorchard@sasktel.net
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