David Orchard
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Le Droit (Ottawa), mardi, le 4 mai 2004

La vente des bijoux de famille

de David Orchard

Comme pour se débarrasser d'un mauvais souvenir, le gouvernement Martin a annoncé son intention de vendre les dernières actions qu'il détient dans Petro-Canada, achevant ainsi le processus de privatisation entrepris par le gouvernement PC en 1991 et poursuivi par les libéraux en 1996.

Créée par le gouvernement Trudeau pour donner aux Canadiens un accès - et surtout une participation - à un secteur énergétique largement dominé par des intérêts étrangers, Petro-Canada faisait partie intégrante du Programme énergétique national (PEN) dont l'objectif était d'atteindre, pour l'industrie du pétrole et du gaz naturel, un taux de propriété canadienne de 50%.

On nous répète ad nauseam que les Canadiens, surtout dans l'Ouest, sont farouchement opposés à Petro-Canada et au Programme énergétique national. Pourtant, à l'époque, les sondages indiquaient qu'une écrasante majorité de Canadiens appuyaient l'objectif de canadianisation de l'industrie, ce qui avait fait dire au journaliste Richard Gwyn : « Tout le monde est contre le PEN, sauf la population. »

Aujourd'hui, Petro-Canada est le deuxième producteur de pétrole au Canada, et même ses détracteurs reconnaissent que l'entreprise est une réussite.

Mais le ministre des Finances, Ralph Goodale, vient d'annoncer que les Canadiens ne devraient plus avoir d'intérêts dans le secteur énergétique. La vente de biens publics, nous dit-on, aidera le gouvernement à réduire la dette. En réalité, comme le faisait remarquer l'ancien chef Tory britannique Harold Macmillan, vendre des biens de l'État n'est guère plus une solution durable que vendre des bijoux de famille. Certes, le produit de la vente est versé au remboursement de la dette, mais cette somme n'est versée qu'une seule fois, et si on la compare à la perte, définitive, des revenus générés par ces entreprises généralement prospères, le gain est nettement moins impressionnant.

À deux occasions déjà, le gouvernement a vendu un lot d'actions de Petro-Canada, et à chaque fois, les contribuables se sont fait dire qu'ils prenaient une sage décision. En 1991, les actions se sont vendues 13$ et en 1996, 20$ l'unité. Mais au début de 2004, l'action valait 70$, soit une augmentation de plus de 300 % depuis 1996 et de plus de 500% depuis 1991. En comparaison, pendant la même période, les Obligations d'épargne du Canada n'ont donné qu'une fraction de ce rendement.

En 1995, lorsque les libéraux ont décidé de vendre le Canadien national (après avoir promis, dans l'opposition, de ne jamais le faire), les actions ont été offertes sur les marchés de New York et de Toronto à des prix dérisoires. Le ministre des Finances, Paul Martin, et le ministre des Transports, Doug Young, ont alors posé fièrement devant les journalistes, brandissant un chèque factice de 2,1 milliards de dollars qui représentait le produit de la vente des actions, décidée encore une fois pour le plus grand bien, apparemment, des Canadiens. Après la vente, la valeur des actions a doublé une première fois, puis une deuxième fois, et a continué d'augmenter. En moins d'une semaine, le contrôle majoritaire (plus de 60 %) est passé à des intérêts étrangers. Une véritable main basse sur notre réseau ferroviaire. Les deux tiers des actions du CN sont allées à des intérêts américains qui ont empoché une plus-value de 500 % : un profit spectaculaire, amassé grâce au labeur acharné de Cartier, de Macdonald et des centaines de milliers de Canadiens qui ont créé, construit et financé la grande société ferroviaire, la plus grande d'Amérique du Nord.

Aujourd'hui, comme au moment de la vente du CN, le gouvernement a levé les restrictions relatives à l'investissement étranger pour ce qui est de la vente de son dernier lot d'actions de Petro-Canada.

La vente de ce dernier lot d'actions qu'ils détiennent dans leur société pétrolière nationale affaiblira la position financière des Canadiens, accélérera la colonisation de leurs ressources, et réduira la marge de manoeuvre dont dispose le Canada dans un secteur industriel déjà fortement dominé par des intérêts étrangers.

Comme le Canada, la Norvège est un pays producteur et exportateur de pétrole, mais elle interdit à des intérêts étrangers de détenir une majorité d'actions dans les secteurs industriels prioritaires. La société pétrolière nationale, Statoil, dont le gouvernement détient 81 % des actions, affiche des taux de rendement qui permettent aux Norvégiens de jouir d'un niveau de vie très élevé. Et depuis plusieurs années, la Norvège a remplacé le Canada en tête de la liste de l'ONU des pays où il fait bon vivre.

Pendant que nos politiciens se réjouissent de voir augmenter les exportations canadiennes de pétrole et de gaz naturel, nos précieuses ressources non renouvelables s'épuisent à vue d'oeil et leur exportation nous rapporte de moins en moins. À l'heure actuelle, les revenus que l'Alberta tire de la production d'une unité de pétrole et de gaz naturel représentent la moitié de ce que la province touchait à l'époque de Peter Lougheed, il y a quinze ans. La Norvège perçoit presque trois fois plus que l'Alberta en droits et redevances par unité de pétrole et de gaz naturel. Même l'État d'Alaska perçoit 1,5 fois plus de revenus par baril que l'Alberta.

En fait, tout le pétrole produit par le méga-projet des sables bitumineux du centre-nord de l'Alberta est exporté au sud de la frontière, assorti de redevances de 1 %.

Pourrait-on imaginer que les États-Unis cèdent leur secteur pétrolier et gazier à des intérêts étrangers? La question fait immédiatement sourire. Le Canada est un pays froid, où la sécurité énergétique est une question de vie ou de mort. Ceux qui sont prêts à sacrifier cette sécurité sur l'autel de la réduction de la dette ont besoin de changer radicalement leur façon de voir les choses. Mais en attendant, le gouvernement canadien, applaudi par l'Opposition, semble déterminé à autoriser non seulement le secteur gazier et pétrolier mais aussi la moindre entreprise stratégique du Canada à se faire racheter par des intérêts étrangers.


David Orchard est l'auteur de « Hors des griffes de l'aigle - Quatre siècles de résistance à l'expansionnisme américain », et a été candidat à la direction du Parti fédéral progressiste conservateur en 1998 et en 2003. Il exploite une ferme à Borden, SK, et on peut le joindre par téléphone au (306) 652-7095, ou par
courriel à davidorchard@sasktel.net
www.davidorchard.com

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